I'll send you my love on a wire
A 4h du matin dans le taxi, traverser la Garonne un peu trop vite, c'est
pas encore la gueule de bois, j'en suis au point de chialer quelque
chose proche du martini pur. Une bouteille à nous deux, quelques noix,
Jordan qui gribouillait sur la table, Faustine le visage creux gris de
fraiche rupture, on a réussi à en rire pour ne surtout pas
penser aux prochaines heures pour les prochains mois. Finalement trop
bourrés pour le goodbye sex, ça m'apprendra. Le chauffeur fait mine de
comprendre, il a une boîte de mouchoirs de psy, je l'ignore par la
fenêtre, la Garonne, Blagnac. L'excédent de bagage c'est mon gros
disque dur plein de tout ce qu'il faut finir, je n'ai pas vraiment de
bagage à main, je crache 50€ quelle organisation. J'écoute l'ami
Bertrand qui peuple parfaitement la torpeur des aéroports, je survole
Bruxelles à l'aube et c'est tellement beau je me demande pourquoi
partir.
J'ai attendu ma claque, en tirant ma valise dans le Air train, en
tentant de sortir à Nostrand, en pataugeant dans la neige bouillie.
J'habite l'équivalent de châteaurouge/châteaud'eau, les gens sont très
gentils, les maisons sont mignonnes, mais pour l'instant rien ne vient.
Manhattan, vite fait parce qu'en fait je passe mes journées entre un
métro cracra et un écran d'ordinateur. Comme à Paris, comme dans
n'importe quelle grande ville occidentale. Oui c'est haut, les gens vont
vite, il parait que tout s'y passe, mais le MoMa est blindé de monde et
moins chouette que Beaubourg, les bagels sont remplis d'une couche de 5
cm de cream cheese (pourtant je voue un culte au cream cheese mais je
n'ai pas su finir), je comprends pas la différence entre un muffin et un
cupcake, Topshop est la plus grande arnaque du prêt à porter (qualité
H&M pour 3 fois le prix), les carottes sont amères, le café est
dégueulasse, j'ai vu en courant un des symboles touristiques de la ville
: Time Square, un panneau publicitaire géant (très représentatif), il
fait nuit à 16h30, il caille sa mère et j'arrive pas à trouver un
manteau. Accessoirement, je suis pauvre.
Je crois qu'il me manque la mythologie de départ, le NYC en touriste, je
comprends pas tout ce ramdam des jeunes hypeux qui se font leur semaine
à Manhattan, leur aprème à Williamsburg et qui reviennent en rêvant d'y
vivre, qui te parlent de leur grosse claque, tu vas voir c'est génial,
t'as trop de la chance. Pour l'instant, j'ai surtout des tonnes de
boulot tout en anglais, des scénarios à écrire, un film à tourner avant
avril, un clip à faire, une série TV à créer. Je suis super
enthousiaste, même si j'ai l'air de grommeler comme ça (j'ai le droit
ici seulement), c'est juste que j'aimerais qu'on m'explique quand vient
la claque de l'American way of life, quand est ce que je vais me dire
qu'en effet c'est vraiment différent. J'ai l'impression d'être à Paris
en plus grand, d'ailleurs la ville est peuplée de français, où que
j'aille, dans la rue, au wholefood, au liquor store, en cours (!!) et
dans n'importe quel métro les gens parlent français. Dépaysement total. A
part ça, on a tous à peu près la même garde robe, on écoute la même
musique, on aime les même films, on regarde les même séries et on rit
aux même bagues... J'imagine qu'une école de cinéma réduit certainement
le décalage possible, c'est juste un peu frustrant (heureusement ma
coloc est haïtienne).
Pendant ce temps, de l'autre coté de la terre, y'en a un qui se
nourrit exclusivement de semoule en regardant les infos tunisiennes en boucle et d'autres qui se préparent à tourner mon scénario, avec mon frère et mon caisson subaquatique... j'ai
mal au ventre à chaque cœur sur Gtalk et à chaque photo made in
Boulogne-sur-mer que je reçois. Parfois je regrette d'être partie,
puis je me dit déjà un mois, surtout plus que 3, faudrait songer à en
profiter. Heureusement, j'ai quelques boutons faciles à pousser pour
marcher vite sur la 23rd, accélérer mon bpm interne et retrouver le duwah...
ou Sleepyhead, ça marche toujours.