Pleix , Beauty Kit, 2001

J'aurais tout terminé, d'analyser Pleix par rapport à Dana Wyse et tous les autres, j'aurais donc fini ces exams, et j'irai enfin profiter des orages en terrasse, et j'évacuerais mon weekend à Bruxelles, la découverte de la règle des degrés (j'en ai pris connaissance en perdant conscience sur les wc de Liba, grande classe), le coming out de mon ancienne coloc, les annonces pour les duplex à st gilles à 550€, les fripes, les frites, et les gens...

Un jour peut-être. En attendant Andy aspire tout ce qu'il peut de moi tant qu'il est encore temps, il sent que je décroche, certainement. J'ai rencontré sa femme, elle a mon age, grande classe.

J'ai envie de manger de la glace à la vanille dans mon lit avec l'homme le plus beau de la terre.

Vendredi je le présente à mon père, il est mort de trouille.
Je ne préviens pas papa, j'ai peur qu'il stresse et annule tout pour cause de club med.
Chez nous l'hp a toujours eu des noms sympa :)

J’avais 7 ans et le médecin de famille passait nous voir à l’heure du dessert, pour un traitement d’urgence de papa certainement, une piqûre pour endormir les démons qui viennent lui exagérer le cerveau toutes les trois semaines, ou bien juste des antibio pour ma petite sœur… Le médecin a un nom qui fait un bruit de grosse cloche lente, il s’assoit à la table de la cuisine et nous raconte qu’il vient de quitter un homme du village à l’hôpital, parce qu’il avait un ulcère. Et c’est quoi ? Des trous dans l’estomac. Maman m’explique que quand on mange trop vite sans croquer les aliments tombent fort dans l’estomac et l’abîment, jusqu’à faire un trou. J’imagine les carottes se promener dans le reste du ventre, ça y est j’ai peur. Vraiment, juste parce qu’on mange trop vite ? Essaie de jeter des cailloux dans une chaussette tu verras.

Alors je suis devant la maison, dans les cailloux, je monte sur le petit mur, je donne à manger à la chaussette, et au bout d’une demi-heure effectivement ça creuse un trou. Voilà je commence à avoir mal au ventre, pourtant j’ai bien fait attention de manger doucement, et deux jours plus tard je me tords de douleur sur le canapé, j’imagine mes petits Glazics au chocolat qui se perdent dans des endroits dangereux, ils se mélangent avec les bonshommes portant les bulles d’oxygène, voilà il y a plein de miettes dans mon oxygène ! Maman je  n’arrive plus à respirer ! Je vais certainement mourir maintenant, juste parce que j’ai mangé les Glazics en 3 crocs au lieu de 4, je suis totalement imprudente…

Et ainsi de suite. A l’école primaire j’ai un ‘traumatisme du genou’ depuis la classe de neige qui m’empêche de marcher bien ou de faire du vélo un jour sur deux, et après avoir lu « Poupoune au pays des navets » je pense sérieusement avoir la tuberculose, et pendant le collège j’ai peut être l’appendicite environ toutes les 6 semaines.  Je regarde tous les jours le grain de beauté qui a une forme bizarre, je m’auto surveille la santé mentale en raison de mes antécédents, je pense que je deviens sourde, je pense que j’ai des problèmes d’équilibre, je pense que mes yeux fonctionnent mal, je pense que je suis allergique à mon oreiller…

Maintenant du jour au lendemain je ne rentre plus dans mes vêtements, j’ai pris 10 kg, en moins de 3 mois. Et je viens de lire un article sur ces femmes qui apprennent leur grossesse la veille d’accoucher, les bébés clandestins ou je ne sais plus leur nom. Soudain j’ai la nausée, des bouffées de chaleur, je me rappelle ma tolérance de plus en plus difficile aux odeurs de cigarette… Alors j’achète un test de grossesse, il paraît que la pilule créée quand même des règles donc on ne s’en rend pas compte. Je pense déjà à la tête de Kha qui m’accompagne pour accoucher du jour au lendemain, je me regarde dans le miroir, ça expliquerait tout…

Évidemment il est négatif. Je suis juste grosse.

Ce quartier a ceci de particulier. Tu sors du métro, tu déposes le pli pour ton boss chez le chef de projet qui rejoint l'équipe à Cuba demain, tu passes au Champion sur le chemin du retour, en presque défaillant parce que tu n'as pas mangé aujourd'hui tu marches jusque chez toi, et ton paquet de roquette dans une main, tes olives dans l'autre tu croises l'étrange Sam devant une des salles de concert et tu lui dis que quand même du fond de l'olympia on pouvait compter ses côtes, il faut manger, quand même. Tu as l'air d'une mamie qui réprimande son gamin. T'es même plus jeune que lui, c'est un comble. Finalement vous parlez de Bruxelles (lui aussi!), de Colombie Britannique et qu'il ne fait pas bon être un sale arabe avec un prénom de terroriste pour travailler dans l'aéronautique aux usa... Il oriente la conversation sur Anne-So, ça te fait rire, tu devrais te reconvertir en agence matrimoniale 'toi aussi tu veux sortir avec une star?'... Tu prévois de prendre rdv pour l'article, et tu te sauves...

Je suis rentrée combattre les fourmis et faire des blagues avec Kha. J'ai envie que tout se termine rapidement, sans effort ni douleur, cette semaine, cette vidéo, ces dossiers, ces exams, ce job, cette période de totale incertitude. Je supporte mal qu'une décision si importante ne dépende absolument pas de mon action. Je suis incapable de me projeter à plus de 3 mois. Je déteste ça. Un recruteur du bout du monde va décider de ma vie sans que je puisse me dire que je l'ai mérité.


J'ai oublié de lui dire bravo, pour son Chocolate Jesus, ça aurait fait un bon point au milieu de tout ce dénigrement.

J'étais rentrée complètement vide, des discussions du weekend, sentir que cet autre là pourrait me séduire vraiment. Il devrait arrêter de me regarder comme ça, de me parler de cinéma et de ces choses qu'il aime. Bordel on est entouré de nos amis, de l'homme que j'aime, pourtant il boit il me regarde, il se couche il me regarde, je le tue au poker il me regarde. Subitement je me rappelle notre baiser, il y a quelques mois, une énorme fête dans mon nouvel appartement, il nous parle, il réclame et tourne la tête. Je l'ai embrassé gaiement, à 10 cm des yeux écarquillés de Kha. Je m'en rappelle subitement. Alors je fais l'amour jusque tard dans la nuit, je ne me retiens presque pas, ils peuvent tous m'entendre, il peut m'entendre. À 6h du matin j'avais couru à la gare, volé un siège coté fenêtre pour pouvoir mal dormir, complètement  tordue, et boire un café en plastique en faisant semblant de regarder les panneaux de la fac, parce que la prof est en retard et que je n'ai personne à qui parler ici.

Elle n'a pas trop aimé mon travail, elle a même tout gâché. Elle a voulu regarder chaque piste indépendamment, elle a regardé les 4 pistes image pas image, exhibant mon intimité à tous les autres alors que ce n'est absolument pas comme cela qu'on doit l'expérimenter. Avec mes 3 semi heures de sommeil je n'ai même pas su me défendre, j'ai juste couru travailler, vide.

Je n'avais pas envie de rentrer chez moi, parce que j'ai du travail, je n'aime pas sortir de 9h de boulot et devoir encore travailler, je n'y arrive pas. Un message de Louis. Il me dépose ma plaquette de pilule. Je n'ai pas envie de le voir, je n'ai envie de voir personne. Je lui laisse un message pour qu'il la laisse dans la boite aux lettres. Je m'arrête au cinéma, juste pour le dernier Honoré. J'entre il fait déjà noir, à la première scène je me rends compte que je suis sur le point de passer 1h30 en face de mon meilleur ami. Moi qui ne voulait voir personne.

J'en sors retournée, parce que les histoires de deuil me retournent. Je demande à Kha de ne pas mourir, naïvement mais j'essaie de croire que le lui demander lui fera prendre conscience qu'il ne peut pas. Qu'il n'en a pas le droit. Je lève les yeux avant le passage piéton et j'aperçois à son balcon un bellâtre de mon lycée. Décidément. Ce quartier est celui des anciens de lycée. Ou bien est-ce l'époque. Je ne pleure même pas sur mon boulevard, à m'imaginer seule, après. Alors je m'en vais me replonger d'autres histoires de deuil, pour que ça sorte. Je n'aime plus les chansons d'amour pour ceux qui ne sont plus là.