Je tords mes nerfs autour du truc
qu'il doit y avoir au milieu du ventre, pas vraiment l'estomac, un
peu plus haut, l'endroit où les nerfs se tordent, les miens en
tous cas, l'endroit que je voudrais m'amputer un peu plus chaque
jour. C'est la façon dont Jul me prend la tête, c'est la
façon dont Kha m'insulte trois minutes avant que tout le monde
sonne à la porte, c'est la façon dont on me prend pour
une conne, la façon dont tous les hommes essaient de me
refaire une éducation. Je dois empester la fille sans père
à 50 kilomètres pour qu'ils s'appliquent tous à
me faire autant chier. Vite une jeune fille en mal de modèle
masculin référent, allons donc lui expliquer la vie et
puis lui passer la main sur les fesses au passage.
Je vois tout dégénérer,
je sens chaque soir le fil qui s'échappe, la crise qui
s'approche, et je ne peux pas contrôler le truc en boule en
plein milieu, mes gestes trop brusques qui vont avec, et je voudrais
hurler. Et je n' hurle pas, ça j'essaie, j'arrive à le
contenir, je voudrais laisser tomber, je lui dis, que j'en ai marre,
que je veux être seule, que je ne veux plus le voir. Je
m'enferme, je n'arrive même pas à faire genre je chiale
sous mon oreiller, je ne suis même pas triste, je suis énervée.
Et ça m'énerve d'être aussi énervée,
et il vient se tortiller, et il pleure, et je n'y arrive plus.
Avant tout ça, je m'apprêtais
à raconter comment je n'étais rien qu'une headbanging
pouffiasse qui ne devrait pas s'approcher trop prêt des
headbanging indie boys qui m'empruntent des dvds en validant le rayon
comics de mon étagère et qui montent des groupes de rap
chelou en m'engageant comme manageuse. Et je me dis que j'ai juste
besoin de prendre l'air. L'école est en grève et Jul y
est beaucoup trop présent pour que j'y ramène mes
jambes turquoises et notre activisme légendaire, je voudrais
juste qu'il aille se faire foutre, avec ses reproches en flot continu
qu'il enrobe de miel avarié « je te dis ça
c'est un cadeau que je te fais pour ta carrière ».
Fuck off.
Prendre l'air donc. Je considère
sérieusement de débarquer chez Liba à Paris en
cours de semaine prochaine, si j'avance suffisamment sur l'Australie
pour me permettre de me sauver. Paris me remonte un peu trop fort
dans les oreilles, à cause des Rakes aussi, parce que Spoons
me dit qu'elle réserve sa place demain et que je réalise
que je n'ai jamais payé pour tous leurs concerts que j'ai vus,
parce que les Rakes c'est la nuit chez Louis (c'est loin), parce que tout ça c'était
mon job et que putain ça me manque, parce que Paris tout ça... Et je me hais de penser que de loin, on
s'aimait mieux et qu'il ne pleurait jamais, je me hais de repenser à
Paris et aux autres indie boys avec qui je headbangais alors, je ne
suis rien qu'une pouffiasse qui voudrait un peu de tout, et je le
brise, et je nous brise, et je tords mes nerfs encore un peu, je
l'entends qui cuisine, j'ai faim, je voudrais qu'il tire là
dessous pour détordre un peu.