Arrivée sur le quai
de la ligne 2 je réalise que j'ai fait tout le changement à
l'aveugle, sans m'en rendre compte j'accomplis les automatismes que
je pensais finir par oublier. Je remarque sur ma jupe noire une tache
d'acrylique blanche qui date exactement d'un lundi d'aout 2007, je me
rappelle avoir repeint le cyclo avec Matt ce jour là, avant
de prendre les vélos et de rejoindre la flèche d'or
dans la chaleur du boulevard, mes jambes nues recouvertes de
peinture blanche. Je me rappelle beaucoup de choses en arrivant au
studio, cette fois mes jambes sont assorties à la peinture du
couloir by C215, j'ai encore l'automatisme de monter le courrier, de
guetter Jean-Marc B dans l'escalier en bois, de pousser fort la porte
mal fermée et de sourire en apercevant la lumière sur
les briques argentées. Et tout s'enchaîne comme avant,
la musique, les vannes sur le prochain shooting, les avis sur la
retouche en cours. On déjeune comme toujours, dans notre
repaire chez Dune, avec Charlotte on the rocks qui nous inonde de son
amour plus fort que tout et tous, avec le camembert rôti et le
moelleux au chocolat qui ne changent pas, avec des mecs à
barbes et lunettes qui mesurent les murs pour refaire la déco.
Charl' me fait une leçon
de grande soeur sur l'amour, l'alchimie, les choix à faire et
le temps que j'ai devant moi. Elle dit que l'amour est toujours plus
fort, qu'il faut écouter son corps, ses vagues au fond du
ventre, que ça ne ment jamais. J'acquiesce doucement, mais en
réalité je voudrais savoir comment faire quand les
vagues sont devenues des boules de nerfs sous la poitrine, est-ce que
ça compte quand même, est-ce que ça ne ment pas
non plus, est-ce que mon corps l'aime toujours?
Pour ne pas répondre
je finis par remettre mon gros casque et ma musique trop peu joyeuse
sur mes oreilles, vite arrêter de ressasser, vite penser à
autre chose. Je me retrouve dans une conférence en anglais sur
la production très indépendante aux USA, on doit être
à peine une dizaine, les deux jeunes producteurs laissent
tomber le micro et on finit par discuter devant une bière de
trucs du genre l'handicap du confort dans la pertinence artistique
des cinéastes. Le genre de soirée inattendue qui te
redonne envie de travailler, de partir aux Etats-Unis, de tout
larguer pour faire du guerilla producing à Baltimore. On
récupère des contacts pour des stages sur un long
métrage cet été... We'll see.
Au téléphone,
Kha me raconte en deux mots sa nolife, je cherche les vagues au fond,
rien du tout, je raccroche vite. Je venais pour chercher ce qui me
manquait, mes amies, mon thrill de jeune wannabe en capitale,
finalement je retrouve aussi les automatismes de vivre Paris seule.
J'arpente les rues que je connaissais par coeur et je cale mes genoux
dans les mêmes salles de cinéma. Je me dis qu'il faut
peut être partir encore plus loin, je creuse la distance qui me
sépare des vides que je n'ai plus envie d'interroger, je monte
un peu plus au Nord, j'arrive tout juste à Lille.